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Le journal des fanas du Lot

Ce blog a pour but de relancer la navigation sur le Lot, particulièrement entre Villeneuve sur Lot et Puy l'Evêque. Ce blog est en collaboration avec les Offices du Tourisme et particulièrement celui de Fumel. Il servira aussi à booster les activités existantes ou futures liées à la présence du Lot. Le Cercle a aussi pour but de susciter des vocations de marins.

Le naufrage du bac de Lustrac

Le naufrage du bac de Lustrac

Au début de la Première Guerre mondiale, il y avait déjà quelques années que le Lot n’était plus guère utilisé pour le transport des marchandises. Il n’en restait pas moins un obstacle aux relations entre les communes des deux rives ; obstacle d’autant plus gênant que les moyens de locomotion de l’époque, encore sommaires et surtout très lents, rendaient très long et coûteux le détour par les ponts de Libos ou de Saint Sylvestre.

Bien sûr, la municipalité de Trentels, soucieuse, comme celles qui lui succèderont, du bien-être de ses administrés, avait obtenu, depuis des années de la Compagnie des Chemins de fer d’Orléans que les piétons puissent emprunter la partie du pont de chemin de fer de Boyer laissée libre pour l’installation d’une éventuelle deuxième voie.

Si cet arrangement résolvait en partie le problème de la traversée du Lot par les piétons, le problème de la traversée des marchandises restait entier. C’est ce qui explique que deux bacs subsistaient sur le territoire de la commune de Trentels.

Le premier se trouvait à Ladignac ; il existait depuis le 16e siècle, il avait été créé et entretenu à ses frais par Arnaud HEBRARD, curé de Ladignac, afin de donner à tous ses paroissiens la possibilité de venir assister à la messe. Il faut dire qu’à cette époque, la paroisse de Ladignac s’étendait sur les deux rives du Lot et comprenait toute la partie basse de l’actuelle commune de Saint-Georges ; cette partie de Ladignac sera donnée à la commune de Saint-Georges par les autorités révolutionnaires en 1792.

Certainement plus ancien encore, le second bac, situé à Lustrac, se justifiait surtout par l’approvisionnement en blé du moulin à partir de la rive gauche du Lot et par la proximité du bourg de Trentels.

Ces deux bacs n’étaient pas guidés par un câble amarré aux deux rives pour sécuriser la traversée ; il s’agissait, en fait, d’un grand bateau qui remontait le long de la rive de départ et traversait la rivière en biais, poussé par le courant. Tout l’art du pilote consistait à remonter à la bonne distance, compte tenu de la force du courant, pour toucher l’autre rive à hauteur du débarcadère.

A Lustrac, la présence du barrage du moulin, qui avait provoqué nombre de naufrages au temps où le Lot était navigué, ajoutait au danger de la traversée.

Le 3 mars 1916, monsieur Pierre MEYNOT, propriétaire du moulin de Lustrac, doit moudre plus de 120 sacs de blé réquisitionnés à Trémons pour approvisionner en farine la population de Fumel en cette période de guerre.

Dés le matin, cinq hommes sont sur la rive gauche du Lot, occupés à charger 73 sacs de blé sur le bac ; une cinquantaine d’autres sont laissés sur la rive pour un second voyage. Ces hommes sont : Monsieur MEYNOT, 41 ans, accompagné de son employé Benjamin MASSOU, 53 ans, et du pilote du bac Pierre DELBREL, 68 ans. Deux autres sont venus prêter main-forte : Léopold ICHES, 38 ans, négociant à Trentels et José CARRERE, de Saint Sylvestre, 20 ans, soldat en permission.

En fin de matinée, vers 11 h 30, le bac est chargé et la remontée le long de la rive gauche peut commencer. Le Lot est en crue et le courant est très fort ; monsieur MEYNOT, probablement un peu effrayé, demande au pilote, Pierre DELBREL, d’être prudent et de remonter plus haut. Celui-ci « jugea avoir assez de marge pour traverser le Lot sans gêne et sans danger ». Il oriente donc le bateau vers le large et le lance dans la traversée.

A peine le bac s’est-il éloigné de la rive d’une vingtaine de mètres qu’il apparaît à ses cinq occupants que le courant, plus fort que prévu, « les entraîne plus vite qu’ils n’avancent » et qu’ils n’atteindront pas la rive droite avant le barrage du moulin.

Le péril étant évident, Pierre MEYNOT demande à Léopold ICHES de sauter dans le petit bateau (appelé batelet) attaché au bac et d’aller amarrer sur la rive droite le bout d’une corde attachée au bateau afin de le retenir avant qu’il ne passe par dessus le barrage. Malheureusement, la corde, dont un tiers de la longueur est engagée dans une marotte du bateau, n’est pas assez longue.

Pierre MEYNOT a alors l’idée de la rallonger en y ajoutant la chaîne qui sert à attacher le batelet au bac. Amenant avec lui le bout de la chaîne, il saute à l’eau et se lance, à la nage, à la poursuite du batelet sur lequel se trouve Léopold ICHES.

Peine perdue, le courant est trop fort et entraîne inexorablement les cinq hommes et les deux embarcations vers le barrage.

Le batelet passe assez près du moulin pour que Léopold ICHES saute à l’eau avant d’atteindre le barrage et réussisse à s’accrocher à un anneau de fer scellé dans le mur. Ce sont des voisins qui viennent le tirer, sain et sauf, de cette périlleuse situation.

Le bac, quant à lui, atteint le barrage, le franchit et disparaît, avec son chargement et ses trois occupants, dans le gouffre et les remous.

Pierre MEYNOT est, lui aussi, entraîné vers le barrage qu’il franchit. Certainement très bon nageur, il se débat dans le remous et ressort en aval du barrage.

Ne voyant aucun des trois occupants du bac reparaître, il plonge courageusement dans les flots déchaînés et dans les remous pour tenter de les retrouver et de leur porter secours. Après deux tentatives infructueuses, épuisé par ses efforts contre le courant, il réussit, à bout de forces, à nager jusqu’à un taillis qui émergeait de l’eau et où des témoins viennent l’aider à regagner la rive.

Ce n’est que quatre semaines plus tard, le 31 mars, que le corps de Benjamin MASSOU est retrouvé à Bouteille, sur la commune de Trentels. Quant à Pierre DELBREL et José CARRERA, on ne trouve pas trace de leur décès dans les registres d’état civil des communes de Trentels, Trémons, Penne et Saint-Sylvestre comme si le Lot s’était refusé à rendre leurs corps.

Quant à la cause de ce drame, elle est évidente. Le pilote du bac a sous-estimé la force du courant et le poids du chargement. Bien sûr, il est étonnant qu’un pilote aussi expérimenté ait pu commettre une erreur d’appréciation telle que le naufrage ait eu lieu si loin de la rive droite ; d’autant plus qu’il avait traversé dans l’autre sens quelques heures plus tôt. Les journaux de l’époque n’ont trouvé comme explication que le fait que Pierre DELBREL était préoccupé par des procès qu’il avait avec ses héritiers.

Quoi qu’il en soit, ce naufrage a fait trois victimes à une époque où la Grande Guerre semait déjà suffisamment de deuils dans nos communes rurales.

Philippe CAMILLI

Le naufrage du bac de Lustrac
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